Les pulsions de mort
Le concept de pulsion de mort, élaboré
par Freud, dans Au-delà du principe de plaisir (1920), constitue un élément
fondamental du grand remaniement, qu’il opère lui-même, de la théorie psychanalytique.
Concept spéculatif et non clinique, destiné à prendre en compte un destin
jusque-là ignoré de la pulsion : la tendance au retour à l’état inorganique
par l’abolition des tensions. Principe à la fois abstrait, régulateur, voire
salvateur en cas de tension extrême et dont l’illustration classique est
le temps de l’orgasme.
C’est ce concept que Françoise Dolto met à l’œuvre en 1960, et qui va subir
ainsi l’épreuve de son étude de la sexualité féminine d’abord, de la psychose
par la suite.
Selon elle, la pulsion de mort participe de la différenciation sexuelle
dans l’orgasme et exerce davantage chez la femme que chez l’homme une attraction
narcissique. Cette approche situe encore le concept dans la définition donnée
par Freud comme suppression des excitations internes, « principe de nirvana
», en quoi F. Dolto reconnaît aussi un principe régulateur permettant au
sujet de se ressourcer.
En revanche, l’analyse des psychotiques va la conduire
à approfondir et transformer ce concept en lui donnant une dimension nouvelle.
Car selon elle, c’est durant les confrontations relationnelles inaugurales,
lors des « stades archaïques » que l’importance de la prédominance des
pulsions de mort peut provoquer des psychoses.
F. Dolto est ainsi conduite à analyser les pulsions de mort dans le dualisme
de leur opposition aux pulsions de vie au travers des images du corps
et des images inconscientes du corps, avant et après la « castration primaire
». Du singulier de la pulsion de mort elle fait ainsi un pluriel. Ce par
quoi elle prolonge l’étude du concept que Freud considérait d’ailleurs
comme une ébauche que les psychanalystes auraient à travailler.
Dans son élaboration théorique, les pulsions de mort, définies comme absence
de manifestation pulsionnelle, absence d’agressivité, absence de représentation,
se distinguent des pulsions agressives considérées comme des pulsions
de vie n’ayant pas atteint le stade génital accompli mais restées au niveau
de pulsions partielles.
Il s’ensuit qu’à chaque image du corps correspondent des pulsions de vie
et des pulsions de mort. Et leur étude va permettre à F. Dolto de suivre
pas à pas l’articulation langagière quand les pulsions de vie sont prévalentes
ainsi que les conséquences des impacts des pulsions de mort selon les
images du corps qui en sont atteintes.
Ainsi, quand la symbolisation n’a pas eu d’entrave, la venue des pulsions
de mort ne s’opère que dans le symbolique, c’est-à-dire comme limite d’un
humain qui ne peut mener son désir au-delà de lui-même, et qui a bénéficié
de la castration symboligène adéquate à l’image du corps en cours de structuration.
En revanche, si les pulsions de mort interviennent avant l’accomplissement
symbolique de l’image inconsciente du corps, ce sont les pulsions partielles
qui restent opérantes. Et c’est à elles que stagne ou régresse, par la
suite, le sujet en développement.
C’est ainsi que F. Dolto distingue deux rôles très spécifiques joués par
les pulsions de mort, selon le degré de structuration où se trouve le
sujet. L’un, au service même de la vie quand les images du corps atteignent
leur plein épanouissement symbolique ; l’autre, comme entrave à la structuration
du sujet dans sa phase archaïque, menaçant l’entrée dans le langage, ou
inhibitrice du développement psychique du sujet en ne permettant pas aux
pulsions partielles de se génitaliser.
Tel est, selon nous, l’apport théorique de F. Dolto dans ce domaine, qui
permet de mieux comprendre les enjeux archaïques du sujet en constitution
et de prévenir ou tenter de corriger au plus tôt l’inscription des plus
graves destins psychiques.
Colette Manier