Les castrations symboligènes
Il faut ne pas s'arrêter à ce que peut
avoir de barbare le terme de « castration » qui fait cependant partie intégrante
du vocabulaire psychanalytique. C'est Freud qui l'a introduit inauguralement
sous forme de ce qu'il a désigné comme complexe de castration, s'agissant
des fantasmes à même de survenir chez l'enfant lorsqu'il découvre la teneur
de la différence des sexes : avant de pouvoir y donner sens symbolique,
il est enclin à en faire le lieu d'imaginaires atteintes mutilatoires péniennes.
Il est important de relever que cette thématique de la castration est présente
chez Françoise Dolto dès le début et ne cessera plus de constituer pour
elle une notion essentielle. C'est en effet dès sa Thèse (de 1939) qu'elle
s'en est emparée, en rendant compte dans ce tout premier travail des présupposés
théoriques et des implications cliniques du « complexe de castration » freudien.
Mais dès ce moment, on voit apparaître un mouvement de pensée qui ne cessera
de se confirmer par la suite, la conduisant à une conception qui se démarque
sur ce point sensiblement du freudisme. Et ce, dans une évolution que nous
avons pu précisément désigner [cf. biblio.] comme opérant le passage du
« complexe de castration » selon Freud, à ce qu'elle en vient à désigner
différentiellement pour sa part comme « castration symboligène ».
Avant de nous expliquer sur ce terme, notons ce qu'il
implique, à savoir que loin de rester l'enjeu de ce scénario infantile
chargé d'angoisse qu'elle constitue chez Freud, la castration devient
plutôt chez F. Dolto l'opérateur de symbolisation salutaire qui permet
à l'enfant d'effectuer son chemin progressif d’« allant-devenant » sujet,
en passant successivement d'une phase à une autre de sa vie pulsionnelle.
La castration est la médiation permettant le franchissement symbolique
qui vise à promouvoir le sujet sur la voie désirante. Elle est d'ailleurs
à ce titre intimement liée sur un plan théorique à la notion d'image inconsciente
du corps [voir ce terme] dont elle définit le tracé en y inscrivant ses
remaniements successifs.
Ainsi F. Dolto va-t-elle en effet s'employer à inventorier la série des
castrations typiques qui interviennent dans la suite de la diachronie
du vécu infantile, notamment : castration ombilicale puis castrations
orale, anale, génitale, toutes trouvant leur parachèvement dans ce qui
y donne sens récapitulatif et définitif après-coup : la castration œdipienne.
Ces castrations peuvent être dites symboliques dans la mesure où elles
sont le fait des instances tutélaires parentales éducatives qui accompagnent
et suscitent ce mouvement de franchissement et de dépassement pulsionnel
chez l'enfant, dans la relation éminemment langagière que cela suppose.
C’est ce qui les fait dire aussi « symboligènes », pour autant qu'elles
ouvrent l'accès du sujet au monde du symbole qui le constitue comme humain.
D'où la définition que F. Dolto donne elle-même de la castration : « En
psychanalyse, le terme signifie une interdiction du désir par rapport
à certaines modalités d'obtention de plaisir, interdiction à effet harmonisant
et promotionnant, tant du désirant ainsi intégré à la loi qui l’humanise,
que du désir auquel cette interdiction ouvre la voie vers de plus grandes
jouissances. » (Au jeu du désir, p. 301).
De recevoir ainsi décidément une acception radicalement symbolique, la
castration s'en trouve dégagée du cortège imaginaire qui la caractérisait
chez Freud, ce qui conduit F. Dolto à en désigner la mise en œuvre pour
l'enfant sous la forme de ce qu'elle appelle : lui « donner la castration
». Ceci est de la responsabilité des éducateurs, mais fait aussi partie
en quelque façon du travail de l'analyste dans la cure, quand on y repère
que les troubles sont liés précisément à ce que les « castrations symboligènes
» ont fait défaut.
On notera d'ailleurs que par ce terme qui n'appartient qu'à elle – et
qui témoigne à cet égard de l'authenticité d'un appareillage théorique
singulier –, F. Dolto situe la psychanalyse d'enfants dans sa connexion
avec l'éducatif, quand bien même elle ne saurait d'aucune façon si réduire.
Gérard Guillerault