Parcours analytique
Si la psychanalyse d’enfants n’était
pas très développée au début de la pratique de F. Dolto, à la fin des années
trente, celle-ci ne fut cependant pas la première à appliquer, en les adaptant,
la théorie et la clinique freudiennes aux enfants. Elle a d’ailleurs toujours
tenu à rendre hommage à la pionnière de cette pratique en France qui l’y
a donc initiée, Sophie Morgenstern, célèbre pour avoir théorisé la pratique
du dessin dans les cures d’enfants.
L’apport spécifique de F. Dolto se situe à un autre niveau et consiste à
articuler constamment clinique, théorie et prévention en privilégiant le
rapport au langage dans la rencontre inter-humaine.
Son point de départ dans l’abord de la clinique, y compris
avec des nourrissons, résidait en sa croyance dans l’être humain, être
de langage, dont la capacité de symbolisation caractéristique de l’espèce
est à l’œuvre dès les premiers instants de vie et le conduisent à la recherche
de communication et d’échanges avec « un autre semblable. » La fonction
symbolique qui, dans la théorie psychanalytique, se présente comme le
résultat de l’advenue au langage d’un individu constitué comme sujet,
dont Lacan a fait remonter l’origine au stade du miroir, entre six et
dix-huit mois, est présente pour elle, dès l’origine.
Cette approche entraîne plusieurs conséquences originales. Si la fonction
symbolique est toujours déjà-là, comment va-t-elle se structurer, le langage
prendre corps, l’infans s’humaniser comme acteur de son histoire et advenir
comme sujet du désir, alors que la clinique montre tous les jours qu’Au
jeu du désir les dés sont pipés et les cartes truquées ?
L’apport théorique novateur de F. Dolto réside en sa conception de la
période archaïque à travers le concept d’images du corps comme reflets
de la naissance du langage chez l’infans et des symbolisations structurantes
au moyen des castrations symboligènes- autre concept clé - dans la relation
d’échanges avec les adultes tutélaires.
Les images du corps, avec la structuration du sujet dans et par le langage,
deviennent inconscientes – images inconscientes du corps - et rejoignent
alors, en les précisant, les différentes étapes libidinales mises au jour
par Freud à partir de l’analyse d’adultes.
La fonction symbolique, cependant, peut tourner à vide si le nouveau-né
n’est pas en relation d’échanges avec les adultes qui en ont la charge,
échanges qui le parlent et donnent signification partagée à ses perceptions.
Il en est de même si des ruptures brutales de communication dues à des
événements extérieurs traumatisants ou des angoisses sclérosantes de son
environnement le laissent seul face à une capacité de symbolisation singulière
et non-échangeable. C’est pourquoi, parallèlement à ses avancées dans
la compréhension de l’élaboration du sujet, elle a privilégié la prévention,
autre axe essentiel de sa démarche.
Loin de garder la psychanalyse dans un giron élitiste, ce que faisaient
beaucoup de ses collègues qui lui reprochaient de sortir du cadre analytique,
elle transmettait son expérience aux parents, éducateurs, travailleurs
sociaux, tous les personnels de la petite enfance, au moyen de conférences,
d’articles de revues ou d’émissions de radio, en plus de ses séminaires,
articles et livres à l’adresse des psychanalystes.
Psychanalyste et citoyenne, elle a ainsi profondément contribué à modifier
le rapport aux enfants, dans les maternités, les crèches, les écoles maternelles,
dans les familles, l’adoption ou la justice. Aujourd’hui encore, face
aux nouveaux problèmes de société et aux bouleversements que rencontre
la famille traditionnelle avec les familles recomposées, monoparentales,
l’homoparentalité et le recours à la procréation médicalement assistée
permettant de dissocier la filiation de la biologie, nombre de ses positions
passées, loin de trancher doctement entre ce qu’il faut faire ou ne pas
faire, ouvrent des voies de réflexion novatrices et restent d’actualité
pour penser les nouvelles relations de la modernité.
Colette Manier