LE DEUIL
Quand
ma mère est morte, je me sentais très bien. J'étais
sereine, certaine de l'avoir accompagnée, en famille, du mieux
possible. Nous avions ri et pleuré avec elle jusqu'aux derniers
moments, nous avions longuement parlé de notre séparation
à venir et, à part une recette de cuisine restée
imprécise, rien ne semblait manquer à mon héritage.
Très vite, j'ai compris que cette sérénité
était incompréhensible, voire scandaleuse, aux yeux de
certains.
" Vous êtes dans l'euphorie du deuil, c'est classique, mais
vous allez vous effondrer ", me dirent deux ou trois collègues
de ma mère. C'est tout juste si on n'ajoutait pas : " Rassurez-vous,
le pire est forcément à venir "
J'attends toujours.
Au même moment, je me suis trouvée entourée de proches
de Françoise que je devais consoler, me disant parfois que c'était
quand même ma mère et non la leur qu'ils pleuraient avec
tant de souffrance. C'était idiot, je l'ai vite compris. Évidemment,
qu'elle était leur mère aussi s'ils le voulaient. Après
tout, je ne savais pas ce qu'elle était pour eux, ni en quoi
cela me concernait. Leur deuil n'enlevait rien au mien.
C'est ainsi que j'ai compris que LE deuil, ça n'existe pas.
Ce qui m'est apparu clairement c'est que le deuil dépend beaucoup
des circonstances de la vie partagée et des circonstances de
la mort. Le deuil est à l'image du lien que l'on entretenait
avec cette personne, lien qui perdure, lui. Ainsi mon deuil ressemblait
à cette relation, profonde mais légère à
vivre. Il était léger et dans une certaine mesure, joyeux.
Cela n'exclut ni les larmes ni le chagrin. Mais cela modifie le manque.
Le vide laissé est peuplé de souvenirs plus ou moins heureux,
dans notre cas j'ose avouer que les souvenirs heureux prédominent.
Même le souvenir du moment précis de sa mort s'il est émouvant,
n'est jamais triste, au point que cela m'a interrogée. La réponse
que j'ai trouvée est liée à ce que je veux vous
dire aujourd'hui.
La vérité c'est qu'elle nous avait pris par la main pour
entrer dans le début du deuil avec nous. En parlant tranquillement
de sa mort qu'elle trouvait " à la fois jouissive (sa curiosité
devant un tel moment) et inquiétante (quand même
)
". En préparant ses funérailles, elle nous avait
accompagnés un bout de chemin, de ce fait la suite ne faisait
pas peur.
Je me souviens d'un moment important, c'était trois semaines
avant son décès. Je l'avais roulée dans son fauteuil,
son long tuyau d'oxygène lui faisant à la fois une traîne
et une laisse dont elle se souciait peu. Ce jour-là, la pièce
était nimbée d'une belle lumière, elle a souri
d'un air ravi, et a dit presque pour elle-même : " Quel beau
bureau ! " Puis, après un temps : " Mais ce n'est plus
le mien tu peux y faire ce que tu veux ".
Elle même me montrait ainsi la place qu'il convient de donner
aux choses, et la manière de ne pas se laisser encombrer par
la sacralisation des lieux, des objets
ni des humains. C'était
l'attitude qu'elle m'a implicitement conseillée. Dédramatiser
sa mort c'était nous permettre de dédramatiser notre deuil.
On me dit parfois avec commisération que ça doit être
bien dur d'avoir une mère célèbre, ou d'être
la fille de cette femme-là. Cela me laisse toujours perplexe,
entre autres parce que cela sous-tend une hypothèse parthénogénétique
qui aurait déplu à mon père comme à nous
tous. Ce qui est lourd c'est ce que les autres projettent sur vous.
C'est aussi la charge matérielle parce qu'il y a des archives
et des textes à publier, mais ce n'est pas dur. Ce qui aurait
été dur c'est d'assumer ce poids si nous ne nous étions
pas aimées, si cela n'avait pas été elle et si
ça n'avait pas été moi. Non, vraiment, LE deuil
, ça n'existe pas, et celui-ci est très particulier.
LE MORT ET SES ARCHIVES
Il y a des morts plus ou moins
encombrants. Françoise Dolto l'est de deux manières. La
première c'est la quantité de textes et de documents audiovisuels,
de livres qu'elle a laissés derrière elle, et tout ce
qu'on écrit sur elle depuis sa mort. Il y a là un problème
concret. J'y reviendrai.
Françoise Dolto est surtout encombrante à cause des effets
de transferts qui ne cessent pas avec la mort. Etre son " ayant
droit " me met dans une situation spécifique, très
exposée. Parfois je me sens réduite au statut de lieu
de projections multiples.
Beaucoup pensent qu'ils feraient une bien meilleure fille de Françoise
Dolto que moi, et qu'ils assumeraient bien mieux la fonction d'ayant
droit. Ils ont peut-être bien raison, mais il se trouve que cette
tâche est la mienne et non la leur.
Au début, c'est assez douloureux d'assumer un tel héritage,
on se laisse blesser. Peu à peu j'ai compris qu'il me suffisait
d'accepter d'être décevante et de ne pas trop m'en émouvoir.
Quoi qu'on fasse, on ne peut satisfaire tout le monde. De toutes façons,
je ne peux pas correspondre aux multiples " bonnes filles de Françoise
Dolto " que les gens ont dans la tête. Ce sont des choses
qu'il m'a fallu travailler.
Le statut d'ayant droit est vraiment stupéfiant et
dangereux.
Comment en effet ne pas déraper quand, parfois, on vous met en
demeure de parler à la place du mort ? C'est une place qui implique
une réflexion intense sur la question de la trace.
Décider à la place du mort, sans se prendre pour lui,
sans perdre sa propre vie dans une posture de vestale, c'est un exercice
particulier. On porte son mort en bandoulière, mais il faut éviter
de prendre pour soi les coups qui lui sont destinés. On passe
par des moments douloureux, on se trompe, au début surtout on
tâtonne. " Vous n'allez quand même pas censurer votre
mère ! " s'écrient les uns d'un air outré.
" Vous n'allez quand même pas laisser imprimer ça,
elle se trompait quand elle disait ça, c'est mauvais pour son
image " ! disent les autres. On se rassure quand on comprend la
place depuis laquelle ils parlent, et ce dont ils ont peur
pour
eux. Peur dont ils sont rarement conscients.
L'important c'est de ne pas avoir peur pour elle ni pour soi, ce n'est
pas toujours facile.
La décision de m'engager, de l'engager dans ces journées
fut une des plus difficiles à prendre. En effet, ma présence
ici est aux yeux de certains choquante et je peux le comprendre. Elle
me sera reprochée.
Je sais que je parle dans un groupe dont certains des dirigeants ont
tenu autrefois, concernant Françoise Dolto, ma mère, des
propos allant bien au-delà de la courtoisie que le débat
scientifique suppose. Je n'ai rien oublié. Et il me suffit de
me replonger dans ce passé, relativement proche pour retrouver
le goût amer de la douleur que nous avons traversé en ces
moments houleux qui, comme cela a été dit ne font pas
honneur à l'histoire de la psychanalyse. Cette douleur appartient
à l'intime.
Je suis reconnaissante à Charles Melman d'avoir abordé
lui même cette question. Il a dit ce que j'ai toujours pensé
être la vérité : c'est parce qu'on a cru qu'elle
voulait prendre le pouvoir qu'elle a été attaquée
si violemment. Je peux vous dire avec certitude qu'elle n'a jamais eu
ce désir de pouvoir qu'on lui prêtait. Elle n'était
pas une femme de pouvoir. De plus, à l'époque, ce qui
était le plus important pour elle comme pour nous, c'était
la santé de notre père, Boris Dolto, gravement malade.
On a pensé qu'elle voulait prendre le pouvoir alors qu'elle s'apprêtait
à perdre son compagnon tant aimé. Ironie de l'histoire.
Plusieurs raisons m'ont poussée à accepter quand même
votre invitation, en dehors du fait qu'elle m'est parvenue par Nazir
Hamad auquel je suis liée par l'amitié.
La première de ces idées qui m'ont poussée à
accepter est qu'il me paraît fou d'identifier tous les membres
d'une association à ses dirigeants. Il y a là de quoi
éteindre tout débat. La deuxième est que les gens
ont le droit d'évoluer et que nier la possibilité d'ouverture
à un débat au nom du passé me parait " anti
vie " pour utiliser un néologisme que ma mère n'aurait
pas renié.
Les enfants de psychanalystes de ma génération en ont
vu de belles ! Les scissions, les trahisons, les amis qui ne vous saluent
plus, les idéaux jetés aux orties, tout cela a une drôle
d'allure pour des yeux d'enfants qui attendent que les grandes personnes
ne se comportent plus comme des enfants
D'une certaine façon cela fait mûrir précocement,
si mûrir c'est perdre ses idéaux et accepter que rares
sont ceux qui disent ce qu'ils font et font comme ils disent. Jusqu'à
preuve du contraire Françoise et Boris Dolto étaient de
ceux là.
Quand on est petit on croit que tous les amis des parents sont comme
les parents
La traversée de ces scissions a probablement
fonctionné comme un vaccin, j'y reviendrai.
De tout cela j'ai acquis la conviction que bien des vérités
ne
sont que du moment. Que les thérapeutes sont enseignés
par leurs patients aux moins autant que par leurs pairs et que les théories
avancent poussées par la clinique. Elles se battent et se fécondent
dans des échanges que je crois précieux. Derrière
bien des enjeux théoriques, ce sont surtout des enjeux de pouvoir
qui avancent masqués.
Mais chaque fois que les idées et les expériences sont
mises au travail, débattues pour elles mêmes je crois qu'on
n'a pas le droit de se dérober.
C'est pour toutes ces raisons que j'ai accepté participer à
ces journées. Et je dois vous dire maintenant qu'elles touchent
à leur fin que je suis profondément heureuse de l'avoir
fait et je suis sure que Françoise Dolto aurait adoré
être là et débattre avec nous. Dans la merveilleuse
lettre que Claude Dumézil lui a envoyée ce matin il manquait
une de ses qualités essentielles : elle n'était pas rancunière.
Au point qu'il fallait parfois lui rappeler qu'untel ou unetelle lui
avait fait du tort. C'était une de ses forces.
Nous avons dépassé ici, ensemble, les querelles inutiles
pour entrer dans la réflexion, nous pouvons maintenant penser
ensemble. C'est une bonne nouvelle.
Françoise Dolto était méconnue parce que trop connue.
Sa notoriété, cette moisissure, lui faisait de l'ombre.
Pourtant, cela lui était tombé dessus sans qu'elle le
cherche parce qu'une certaine manière militante de se penser
psychanalyste citoyenne l'avait poussée sur le devant d'une scène
médiatique où sa manière d'être avait séduit
les médias, bien malgré elle. Sa notoriété
était un avatar de son choix de diffusion des idées et
connaissances auxquelles elle croyait. Elle a fait avec, mais elle en
a souffert, beaucoup, comme l'a très justement rappelé
tout à l'heure Yannick François.
Le temps et nos efforts communs ont fait leur ouvrage, Françoise
Dolto rejoint maintenant ceux de ses collègues qui la connaissaient
mal. Il me semble qu'a l'échelle du petit monde que nous partageons
ces journées constituent un moment historique.
POURQUOI LES ARCHIVES ?
Françoise Dolto est encombrante
dans la mesure où elle a abondamment parlé sans se préoccuper
beaucoup de ce qu'on faisait de sa parole. Elle ne contrôlait
pas ces choses-là. Elle était généreuse
de sa parole comme du reste.
Elle pouvait être naïve et imprudente. Parfois elle parlait
trop vite, elle associait devant les autres, elle ne s'informait pas
assez et elle se trompait. Grâce à quoi elle a laissé
beaucoup de réflexions cliniques, d'observations sur les faits
de société qui sont très précieuses. Je
ne suis pas toujours d'accord avec ce qu'elle a dit, parfois je peste
et si elle était vivante nous aurions une discussion serrée
sur la question comme nous en avions parfois. Il m'arrive de me dire
qu'elle aurait mieux fait de se taire, mais, dans le fond, cela n'a
absolument aucune importance. Il lui arrivait d'être brutale en
parole, trop directe pour certains interlocuteurs, c'est fait, on ne
peut revenir la dessus.
Pourquoi faudrait-il que Françoise Dolto soit infaillible ? De
son vivant, elle ne se prenait pas au sérieux et acceptait volontiers
le débat et la critique. Par quel miracle une fois morte devrait-elle
parler toujours juste ?Elle serait bien la seule.
Ce qui est difficile pour les morts c'est qu'ils ne sont pas là
pour nuancer leur pensée et parfois la défendre. Il me
semble donc indécent d'attendre d'eux ce que bien peu de vivants
réussissent. Je suis parfois surprise de l'intensité des
débats autour d'un propos qu'elle a tenu, voire laissé
imprimer, un jour en passant. Certains s'offusquent, d'autres cherchent
milles significations, il me parait plus simple d'accepter qu'elle était
humaine et qu'elle pouvait se tromper.Elle a même dit ou écrit
ce que l'on peut appeler, avec le recul, des bêtises. Il me semble
qu'elle y a droit. Que Françoise Dolto ait dit une chose à
laquelle je n'adhère pas dans le domaine social, politique ou
religieux, ne me gêne pas et n'entache en rien mon respect pour
son travail comme pour sa personne, ni mon amour pour elle.
En effet nous avons eu la chance de vivre cette étonnante aventure
d'un lien de sang et d'amitié qui est resté vivant et
changeant jusqu'a sa fin. Quand la gravité de sa maladie m'a
mise en situation de prendre soin d'elle, elle s'amusait à parler
de nous en disant " Françoise et Catherine Dolto, alternativement
mère et fille "
Ce qui est essentiel c'est ce qu'elle a dit et transmis de son travail
clinique et théorique, le reste c'est sa liberté et sa
vérité du moment. Elle y a droit. Là encore il
s'agit de ne pas avoir peur à sa place, ce qui serait à
proprement parler abusif puisqu'elle même pensait que vivre c'est
se risquer et que les résistances sont le signe que l'on a dit
quelque chose de juste et d'important. Etre approuvée ne l'intéressait
pas, elle voulait être entendue.
Je n'adhère pas à la " doltolâtrie fusionnelle"
de certains, et même, je la redoute. Je ne me sens pas blessée
quand on la critique. Je trouve cela normal et même sain. Mais
je souffre quand on l'insulte parce que là il ne s'agit plus
de Françoise Dolto, mais de ma mère.Au fil du temps, j'ai
appris à trouver la bonne distance avec tout ce qui s'est noué
autour de son uvre et de sa personne.
Une femme est passée, une uvre demeure. Comment faire
face à ce reste là avec dignité ? Comment être
digne de ces parents là ? ( elle aurait détesté
qu'en parlant de notre éducation on oublie notre père)
J'ai appris qu'être ayant droit, c'est avant tout être "
ayant devoir ".
Devoir de prendre conscience que l'on ne parle pas de la place du mort
mais de la sienne propre, même si l'artifice juridique et la névrose
des interlocuteurs, ainsi que celle de l'ayant droit, vous poussent
sans cesse à la confusion.
Il y a un devoir de veille qui est assez doux pour une fille. Devoir
de protéger l'uvre de la destruction matérielle
et de l'oubli, qui répond au devoir de l'aider à détruire
les dossiers de ses patients avant sa mort. Devoir de ne pas la laisser
dévoyer, détourner, instrumentaliser sa pensée.
Devoir de rassembler et publier les inédits et re-publier les
textes mal établis. Faire interdire les textes douteux où
on lui prête des propos qu'elle n'a pas tenus ou sortis de leur
contexte au point de perdre leur sens. Un nom qui fait vendre suscite
les indélicatesses.
On se fait vite des ennemis à ce jeu-là. Il faut apprendre
à vivre avec, et à supporter qu'on vous prête des
propos et des intentions qui ne sont pas les vôtres. C'est assez
dangereux pour la santé mentale, mais si on travaille la question
et si on sait s'entourer cela devient une excellente gymnastique qui
vous fortifie l'âme.
Le grand danger c'est de se retrouver seul, je l'ai compris très
vite. Fonder une association m'a semblé la meilleure manière
de faire face à ces responsabilités. On me reproche souvent
d'avoir choisi un intitulé compliqué : Archives et Documentation
Françoise Dolto.
Je voulais que l'on sache d'emblée qu'il ne s'agissait pas d'un
fan-club mais d'un lieu de travail, de rencontres et d'information.
Dans notre local sont rassemblés tous les inédits, tous
les livres et articles qui la concernent, toutes les éditions
françaises et étrangères de ses livres. Elle est
publiée dans pratiquement toutes les langues, y compris en chinois
et en coréen, mais pas en anglais, en effet quand son premier
livre avait été traduit en anglais, Anna Freud était
encore vivante et le mot d'ordre avait été donné
chez les Anglophones de ne pas s'intéresser à cet ouvrage
là. Il fût pilonné.
Dans nos archives on trouve aussi les vidéos, les cassettes audio,
les articles de presse et les photos. Pour compléter cet inventaire
à la Prévert, il faut ajouter des objets personnels et
quelques exemplaires de la poupée fleur.
Ceux qui sont intéressés peuvent venir lire, voir des
vidéos, consulter des documents, chercher des adresses. Les archives
accueillent et renseignent des étudiants et des chercheurs du
monde entier, mais on n'y enseigne pas puisqu'elle n'a jamais voulu
faire école. Pendant longtemps nous avons accueilli des jeunes
condamnés à des travaux d'intérêt général,
les TIG, certains sont restés proches et nous aident bénévolement.
Nous organisons des journées de réflexion et d'échanges
ainsi que des projections de vidéos suivies de débats
à Paris et en province. Il s'agit de mettre l'uvre au travail
au fil du temps, de l'évolution des idées et des connaissances,
et de la société.
Les archives sont aussi le lieu où se rencontrent ceux qui se
sentent suffisamment proches de Françoise Dolto, pour souhaiter
participer aux multiples tâches qui sont les nôtres. Nous
avons un fonctionnement qui se veut collégial et ouvert. Il existe
un petit groupe à géométrie variable selon les
moments, mais à loyauté continue, qui travaille à
la publication des textes. L'activité éditoriale est une
des fonction dérivée des archives. C'est moi qui signe
les contrats mais, dans la mesure du possible, tout est débattu
en groupe avant, surtout quand les décisions sont difficiles
et porteuses d'enjeux importants.
Bien évidemment cela implique des moments de tension et de conflits,
mais depuis quatorze ans nous continuons et évoluons. Notre fierté,
en dehors de notre survie qu'on nous avait annoncée comme impossible,
ce sont les livres dont nous avons permis la parution. Les textes sont
toujours établis par au moins deux et si possible trois, membres
des archives. En cas de doute, on se réunit en plus grand groupe
et on discute. Je n'ai pas droit de veto, c'est pour moi une protection
indispensable contre l'abus de pouvoir, risque toujours présent.
Le fait d'être la fille de ma mère ne me donne pas, à
priori, plus de compétence qu'à d'autres pour bien des
décisions. C'est ensemble que nous avons décidé
de publier le plus vite possible les inédits de manière
à ce que le débat critique sur l'uvre dans toutes
ses dimensions se déroule dans les meilleures conditions.
Les quatre jours à l'Unesco, que nous avons réalisés
dix ans après la mort de Françoise Dolto - et dont les
actes sont publiés chez Gallimard sous le titre " Françoise
Dolto, aujourd'hui présente " -ont été un
succès qui nous a permis de renforcer notre confiance dans cette
manière de gérer, en groupe, cette postérité.
Je crois que nous sommes les seuls héritiers, en France du moins,
à avoir choisi un tel fonctionnement, il est vrai que cela représente
un coût financier.
Avec le recul, je comprends combien il était indispensable pour
moi d'être ainsi entourée d'un cercle amical, professionnel
et compétent. Ca l'est d'autant plus que j'ai choisi de ne pas
être psychanalyste. Bien que j'utilise beaucoup dans ma pratique
de l'haptonomie, science humaine phénoménologique, ce
que j'ai reçu d'elle dont la pratique était très
phénoménologique.
J'éprouve une profonde gratitude pour ce comité qui
m'entoure et m'aide. Je suis aussi très reconnaissante à
mes frères, à Colette Percheminier, notre directrice,
et à tous les membres des archives qui m'assistent dans cette
tâche de transmission.
Se réunir, travailler à plusieurs à faire vivre
la mémoire et l'uvre d'un seul, c'est se départir
de l'exclusive, des effets de transfert et de leur violence. C'est aussi,
tout simplement, témoigner du fait que se débrouiller
de cela solitairement est peut-être une mission impossible. A
plusieurs on se protége les uns les autres de la tentation de
prendre le pouvoir sur l'uvre. Il me semble que si Françoise
Dolto sort maintenant d'un relatif purgatoire sans que personne ne se
trouve en position de parler en son nom c'est à l'existence des
Archives que nous le devons.
Je suis certaine que sans ce dispositif ouvert et convivial, mon équilibre
psychoaffectif, ma santé mentale, n'auraient pas résisté
à la situation d'ayant droit avec la fausse toute puissance qu'elle
implique. Je serais devenue folle, écrasée par une telle
tâche. La vaccination des scissions dont j'ai parlé plus
haut, m'a permis de savoir, dès la mort de ma mère, qu'elles
épreuves je risquais de traverser, les archives ont donc répondu
à un double besoin de protection. Elles la protégent mais
elles me protégent, je n'ai jamais eu aucun doute à ce
propos.
Je tiens à rendre ici hommage à Antoine Gallimard. Il
s'est toujours montré attentif à la vie des Archives,
il nous a fait confiance et il nous apporte son soutien financier régulier.
C'est pour cela que toutes les reprises et tous les inédits sont
publiés chez lui ou dans la filiale qu'est le Mercure de France
pour les très courts textes du Petit Mercure.
Là encore, il s'agit d'un travail d'équipe sous la direction
de Colline Faure-Poirée. Avec elle, nous espérons, en
accord avec Le Seuil qui fut le premier éditeur, publier en coédition
des uvres complètes.
C'est la première fois que je prends la parole sur ces questions
très importantes pour moi et je trouve que c'est un joli cadeau
de la vie que l'occasion m'en soit donnée par vous, ici.
Je vous remercie de votre attention.
Catherine Dolto,
Journées de L'association Lacanienne Internationale, Lacan avec
Dolto, Paris 8 et 9 mars 2003