Françoise Dolto (1908-1988), née Françoise Marette, est la quatrième enfant d'une famille bourgeoise qui en comptait sept (deux filles, cinq garçons). Très tôt, elle détecte dans cette petite société les malentendus, contresens et non-dits qui existent entre les humains et particulièrement entre les adultes et les enfants. Pour y faire face, elle développe déjà des dons d'observation que l'on retrouvera plus tard dans sa pratique de clinicienne. Dès l’âge de huit ans, il lui paraît nécessaire de créer un pont de communication entre ces deux mondes, ce qu'elle exprime en disant qu'elle veut être "médecin d'éducation".

Françoise n’a pas 12 ans quand sa sœur aînée, Jacqueline, meurt d'un cancer. Le deuil de cette jeune fille, qui était la préférée de leur mère, marque un tournant dramatique dans l’histoire de toute la famille ; et spécialement pour la jeune Françoise à qui l’on fait savoir que, si on avait pu choisir, c'est elle qui serait morte. Françoise est également jugée en partie responsable de n'avoir pas assez prié pour que sa sœur soit sauvée. Cette épreuve est l'occasion d'une maturation qui nourrira plus tard son désir de devenir psychanalyste.



Pendant toute sa jeunesse, Françoise se heurtera à l'incompréhension de sa mère qui ne voit d’autre avenir pour une jeune fille que le mariage; les études et l'exercice d'un métier lui paraissant antagoniques avec ce destin. Ne supportant pas l'inactivité, Françoise décide d'apprendre la couture, de participer avec succès à des concours d'affiches, mais on lui interdit d'aller plus loin. Elle se tourne alors vers le travail de la faïence, mais le côté répétitif de ce métier la décourage. Toute sa vie, elle gardera une main d'artiste et produira sculptures, dessins et aquarelles. En 1929, sa mère l'autorise enfin à entreprendre des études d'infirmière, espérant que cela la dégoûtera du métier de médecin. Cependant, Françoise persistera dans son projet. Elle attendra son frère puîné, Philippe, pour commencer avec lui des études de médecine qui lui permettront de s'installer comme généraliste et pédiatre le 1er septembre 1939.

Au début de ses études médicales, la rupture des fiançailles qui lui avaient été imposées par ses parents engendre chez elle des symptômes névrotiques liés à un terrible sentiment de culpabilité : cela la pousse à démarrer une psychanalyse personnelle. Peu à peu, grâce à sa cure psychanalytique avec René Laforgue (de 1934 à 1937), à son entrée à la Société psychanalytique de Paris (1938) et à ses consultations hospitalières – où elle rencontre des enfants au comportement perturbé – Françoise Marette réalise son désir précoce d'être "médecin d'éducation", en devenant la psychanalyste que l’on connaît aujourd'hui.
Ses contrôleurs en analyse furent Lowenstein, Spitz, Garma; et pour la psychanalyse d’enfants, Sophie Morgenstern et Leuba. Plus tard, Françoise Dolto sera l’un des membres fondateurs de la Société française de Psychanalyse – qu’elle-même et Jacques Lacan quitteront lors d’une scission. En 1964, elle participe à la création de l'Ecole Freudienne de Paris, toujours avec Lacan.

En février 1942, Françoise Marette épouse Boris Ivanovitch Dolto, rhumatologue. Il a fondé l'E.F.O.M : Ecole Française d'Orthopédie et de Massage. Aussi révolutionnaire et précurseur que Françoise Dolto, on dit de lui qu'il a profondément fait évoluer la kinésithérapie. Esprit ouvert et moderne, Boris partage avec enthousiasme l'aventure intellectuelle de sa femme, tout comme celle-ci se passionne pour les découvertes de son mari. Leurs réflexions communes sur les liens entre le corps et le psychisme furent très enrichissantes pour l'un comme pour l'autre. Ils auront ensemble trois enfants.

Parallèlement à sa pratique libérale chez elle, où elle recevait beaucoup d'adultes, Françoise Dolto exerça principalement dans quatre institutions où elle n’avait que des enfants pour patients : la Polyclinique Ney où Jenny Aubry lui avait demandé de venir, le Centre Claude Bernard, l'Hôpital Trousseau (1940 à 1978), et le Centre Etienne Marcel (1962 à 1985).



A partir de 1967, Françoise Dolto répond, en direct et anonymement, aux auditeurs adultes et enfants d'Europe N°1 sous le nom de "Docteur X". L'émission de radio connaît un excellent taux d’écoute. Cependant, la psychanalyste ne souhaita pas poursuivre cette expérience au-delà de 1969, principalement parce que le dialogue était haché par les nécessités du direct et de la publicité. En 1976, elle accepte à nouveau une émission sur France Inter : "Lorsque l'enfant paraît", à condition d’y répondre aux lettres des auditeurs, ce qui lui permet d’aller beaucoup plus en profondeur. C’est un immense succès ; qui sera à l’origine de sa notoriété auprès du grand public français.

En 1978, ce succès médiatique l’incite à prendre sa retraite de psychanalyste. Les effets de transfert dus à la notoriété lui semblent gêner la nature de son travail d'une manière incompatible avec son exigence éthique. La question de l'éthique dans le travail thérapeutique a toujours été fondamentale aux yeux de Françoise Dolto. Désormais, elle va se consacrer essentiellement à la prévention et à la formation : contrôle en groupe ou individuel, publications, conférences, émissions de radio ou de télévision.

Entourée d’une petite équipe, elle fonde en 1979 la "Maison Verte", lieu de socialisation précoce où tout enfant de 0 à 3-4 ans est accueilli, accompagné d'un ou deux de ses parents ou grands-parents. L’équipe d’accueil d’une Maison Verte est formée de trois personnes, dont l’une est psychanalyste. C’est un endroit où on parle, on joue, on dédramatise. On y apprend aussi les interdits structurants. L’efficacité des maisons vertes a entraîné leur multiplication. Il en existe aujourd’hui dans presque tous les pays d’Europe, en Amérique Latine, et un grand nombre en France (voir Maison Verte).

Cependant, à cette période, Françoise Dolto tient particulièrement à poursuivre son travail de psychanalyste au Centre Etienne Marcel ; puis, jusqu'à sa mort, au profit des enfants confiés à l'Aide Sociale à l'Enfance – dont elle estimait que leur placement et leur très jeune âge les mettaient à l'abri des effets de notoriété. Tout comme à l'Hôpital Trousseau, cette consultation est publique, ouverte à des psychanalystes qui forment un groupe actif auquel l'enfant peut s'adresser. Françoise Dolto tenait beaucoup à ce mode de transmission clinique et théorique à la fois, mais insistait toujours sur le fait qu'elle ne voulait pas faire école et n'avait pas d'élèves au sens propre du terme. Ce travail de psychanalyse avec les tout-petits, y compris les nourrissons, lui tenait beaucoup à cœur car elle voyait là un moyen de prévention des troubles plus tardifs. Avant sa mort, elle insista beaucoup pour que ce type de travail ne soit pas abandonné.

Freudienne, Françoise Dolto développe une théorie et une clinique novatrices qui permettent d'étendre en la radicalisant la compréhension de l'humain, notamment en donnant toute son importance à ce qu'elle nommait "l'archaïque", c'est-à-dire l'écoute des singularités du développement de l'enfant. Elle élabore, pour ce faire, le concept, central dans sa pensée, d'Image Inconsciente du Corps. Dans ce cadre théorique, elle inventera aussi la notion de castrations symboligènes, étapes nécessaires à l'évolution de l'enfant.

De nos jours, en France et dans le monde, de nombreux lieux inspirés de la pensée de Françoise Dolto se développent : structures de type Maison Verte, maisons de quartier qui accueillent les enfants à la sortie de l'école, hôtels pour les enfants, lieux de rencontre et d'échange des enfants pour les parents divorcés en difficulté sociale ou en conflit, chambres mère-enfant dans les hôpitaux, lieux d'accueil thérapeutiques pour la mère et l'enfant tout petit où les pères sont, bien sûr, accueillis – car Françoise Dolto a toujours insisté sur le fait que l'enfant se construit dans une triangulation précoce entre sa mère et son père.

Tous ces lieux reflètent son souci constant de faire un travail de prévention grâce à ce que les enfants et les adultes en thérapie lui avaient permis de comprendre à travers leurs souffrances – on connaît peu le combat qu'elle mena pour le développement de l'apprentissage précoce de la langue des signes par les malentendants. Des centaines d’endroits portent son nom, rues, places, jardins publics, ludothèques, crèches, écoles maternelles, collèges, lycées…

Françoise Dolto se voulait psychanalyste et citoyenne. Incontestablement, son travail a contribué, avec celui de bien d'autres, à l'évolution en profondeur du regard posé sur l'enfant par les psychanalystes, et par la société dans son ensemble.




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